Frères et sœurs,

Nous les templiers, nous visons et nous défendons l’honneur du Christ et l’honneur de son Église. Notre engagement est absolu et sans réserve ! Dans notre bataille nous regardons droit devant et non en arrière ! Nous comprenons très bien Jésus qui dit à chacun de nous : « Quiconque met la main à la charrue, puis regarde en arrière, n’est pas fait pour le royaume de Dieu ».

Dans la Chartreuse en Allemagne, il y a actuellement un frère – c’est le frère cuisinier – qui a réalisé à la lettre le conseil de Jésus de ne pas regarder en arrière dès que l’on a mis la main à la charrue. Ce frère venait un jour à la Chartreuse juste en tant que « regardant », pour ensuite revenir à la maison de ses parents, pour réfléchir, digérer les belles impressions, prendre finalement une décision et dire au revoir à la famille. Mais lui, même pas vingt-quatre heure après que les portes de la Chartreuse se soient fermées derrière lui, le regardant se transformait immédiatement en novice, il était décidé : il ne quitterait plus la Chartreuse. La veille de son entrée, il ne savait pas que dès le lendemain il changerait pour toujours son lit confortable à la maison contre un lit de paille et sa chambre en maisonnette. Le prieur de la Chartreuse a dû appeler ses parents pour leur apprendre la magnifique nouvelle que leur fils ne rentrera plus à la maison.

Évidemment, nous n’avons pas tous à vivre cette radicalité concrète et la mise en pratique du conseil de Jésus comme la fait le frère cuisinier de la Chartreuse. Mais tout de même, ce que dit Jésus aujourd’hui vaut aussi pour nous : « Quiconque met la main à la charrue, puis regarde en arrière, n’est pas fait pour le royaume de Dieu ». Peut-être seul les amoureux peuvent vraiment comprendre ce que cela voudrait bien dire ! Si je suis amoureux d’une personne, je laisse tout, mais absolument tout derrière moi. Je suis captivé, possédé par l’amour de ma vie et je fonce toujours en avant vers mon trésor sans regarder en arrière, à droite ou à gauche. Je n’ai en tête que le désir de mon amour : « Comme une biche désire l’eau du ruisseau, ainsi je te désire, toi, mon Dieu. J’ai soif de Dieu du Dieu vivant. Quand pourrai-je entrer dans son temple et me présenter devant lui » (Ps 42). Pourquoi alors regarder en arrière ou ailleurs ? Celui qui met la main à la charrue regarde en avant. Il n’a pas besoin de regarder en arrière. Il n’a qu’à suivre le chemin déjà tracé et n’a qu’à regarder en avant pour continuer droit son chemin. Le regard en arrière est donc superflu. Autrement dit, seulement le regard en arrière peut dérouter la charrue du droit chemin. Seulement celui qui doute ou qui craint l’évidence regarde en arrière. Seulement celui qui doute que l’amour du Christ ne pourrait pas le combler regarde en arrière. Les doutes et les peurs sont multiples, et nous les connaissons tous. La tentation est grande de vouloir régler toutes ses préoccupations douloureuses avant même de nous occuper de la source de la vie et de l’amour qui est Dieu : Les soucis premiers servis disons nous au lieu de dire : Dieu premier servi. Ce sont les maintes situations de la vie où notre délibération commence avec ce fameux « oui, mais », ou « mais peut-être ». Si l’on veut suivre véritablement le Christ, ces deux petits mots « peut-être » et « mais » qui finalement ne sont rien d’autre qu’un « non », ne peuvent pas exister dans le dictionnaire de l’amour véritable, absolu et radical. Cela vaut pour l’imitation du Christ comme d’ailleurs pour n’importe quelle sorte d’amitié ou union humaine, si elle se veut pure, claire, limpide et joyeuse : « Ton oui soit un oui ».  

Le contenu du non, du doute ou de la peur peut avoir plusieurs facettes. Jésus en énumère plusieurs. Tous d’une manière ou d’une autre regardent vers l’arrière. Mais pourquoi concrètement il n’est pas du tout nécessaire de regarder en arrière ? Justement et simplement, parce que c’est le Christ lui-même qui regarde pour moi en arrière. C’est lui qui fixe son regard vers moi, comme moi je fixe mon regard sur lui. Le Christ pose son regard sur moi et ainsi tout mon passé, tout ce qui se trouve derrière moi ou à gauche ou à droite, et même devant moi, est regardé et visé par lui et imbibé par son amour. C’est le Christ lui-même qui regarde et observe tout ce qui se trouve autour de moi et c’est la splendeur de la vérité de son amour qui transforme tout le passé, toute sorte de doute et de peur en cette même amour. De quoi je m’inquiète alors, moi, je n’ai qu’à fixer mon regard sur lui (Ps 31, 8).

Frères et sœurs, si le Christ me regarde droit dans les yeux, vers ailleurs pourrais-je alors fixer mon regard ? Je ne peux chercher que les yeux de son regard, rien ne me manquerait et rien ne m’inquièterait. Je peux alors chanter avec le psalmiste : « Tu es la lumière de ma lumière, tu éclaires mes ténèbres » (Ps. 17, 29). Si le Christ est ainsi le centre de ma vie, il n’est plus nécessaire de regarder en arrière, car, en union avec Lui, je vois tout avec ses yeux. Mais en même temps – et voilà le paradoxe de toute cette histoire – je peux maintenant même regarder en arrière, car tout se présentera à moi sous, dans et avec le regard du Christ. Saint Patrick a magnifiquement décrit se regard du Christ qui devient aussi le mien : « Le Christ avec moi, le Christ devant moi, le Christ derrière moi, le Christ en moi, le Christ au-dessus de moi, le Christ au-dessous de moi, le Christ à ma droite, le Christ à ma gauche, le Christ en largeur, le Christ en longueur, le Christ en hauteur, le Christ dans le cœur de tout homme qui pense à moi, le Christ dans tout œil qui me voit, le Christ dans toute oreille qui m’écoute. » Pourquoi alors regarder en arrière, pourquoi alors s’inquiéter, si ce n’est plus moi qui vis en moi, mais le Christ qui vit en moi ? Le Christ est notre Victoire et notre paix !

Non Nobis Domine, non nobis, sed nomini tuo da gloriam!

 

Père Albert-Henri Kuhlem O.P.

Minister Templi